Tous les mois, Gérard BRETON vous donne rendez-vous pour une nouvelle chronique.
Ce mois-ci, il termine sa trilogie : "Tricheurs, M'as-tu-vu et camouflés" avec la 3ème et dernière partie consacrée aux mimétismes plus complexes
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Voir l'épisode n°1 : les tricheurs
Voir l'épisode n°2 : les m'as-tu vu et les camouflés
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Sphaerococcus coronopifolius est une algue rouge qui forme de flamboyants buissons d'un ou deux décimètres de haut où une florule et une faunule diversifiées trouvent abri.
Dans ces buissons, un merveilleux petit lièvre de mer une Aplysie du même rouge que les Sphaerococcus qu'elle broute grâce à sa langue râpeuse ou radula et qui se nomme Pruvotaplysia parvula, s'est révélée abondante. Mais, trop bien camouflée, elle était jusque-là pratiquement ignorée. De même, les étiques Pycnogonides ou encore les Caprelles, amphipodes fantomatiques qui chassent à l'affût y sont superbement camouflés. Elles mesurent un centimètre.
A 3 grossissements différents, la radula, c'est à dire la langue, de Pruvotaplysia parvula
Sphaerococcus devait révéler une autre surprise. Elle héberge des comatules Antedon mediterranea échinodermes du groupe des lis de mer.
Leurs dix bras sont garnis de pinnules disposées comme les dents d'un peigne double.
Sur les bras vit une petite crevette (l'adulte mesure 1 cm) qui se fond dans la couleur des bras de l'Antedon en cultivant, par son attitude, la ressemblance avec les pinnules de la comatule. C'était de plus la première identification certaine en Méditerranée de cette crevette Hippolyte prideauxiana lorsque nous l'avons observée. À ce camouflage admirable, certes, nous serons tentés d'opposer le sens de l'observation tout aussi admirable du biologiste qui a su en déjouer les pièges !
5 CONCLUSION
II serait facile - trop facile - de conclure en commentant sur l'inépuisable inventivité de la nature, et sur le caractère merveilleux de tout ce que nous venons de décrire : l'inévitable touche de finalisme qui accompagne de tels propos est d'autant plus dangereuse qu'elle semble convaincante et naturelle.
Au contraire, nous voudrions insister à nouveau sur le fait que ce que nous avons décrit est le fruit d'une observation faite avec des yeux humains et se trouve nécessairement entaché d'anthropocentrisme. Il faut donc en relativiser la portée. Si une homochromie, une homotypie, le caractère vexillaire d'une coloration ou la ressemblance morphologique d'un mimétisme batésien peuvent être appréciés ainsi, leur efficacité, c'est-à-dire le degré de protection qu'ils confèrent ne peut l'être qu'après expérimentation, avec un protocole qui permette - démarche scientifique oblige - de ne faire varier qu'un paramètre à la fois.
En d'autres termes, il s'agit de comparer le taux de survie de l'animal camouflé et de l'animal non camouflé ! La tâche est, on s'en doute, ardue ; la parole est à l'inventivité expérimentale du biologiste et, à ma connaissance, cette phase de l'étude des phénomènes de camouflage, mimétisme et colorations vexillaires, si elle est bien avancée dans le milieu terrestre, n'est guère qu'ébauchée dans le milieu marin.
Une toute dernière note. Les mécanismes invoqués pour expliquer l'évolution des êtres vivants permettent aujourd'hui d'imaginer sans trop de peine l'émergence d'espèces camouflées ou possédant une coloration vexillaire : les mécanismes sélectifs, quels qu'ils soient, favorisent le camouflé ou le bariolé en diminuant la pression de prédation. Mais en ce qui concerne le mimétisme, il en va autrement. Que l'on adhère pleinement à la théorie synthétique (autoproclamée synthétique) de l'évolution, ou bien que, comme l'auteur de ces lignes, on ait vis-à-vis de cette théorie des réserves - au moins quant à sa généralité -, les mécanismes permettant d'expliquer la nécessaire coévolution du mime et du modèle restent à décrire. Les propositions des synthétistes ne nous semblent pas convaincantes. L'objectivité nous oblige d'ailleurs à préciser que nous n'avons pas de scénario plus convaincant à proposer : la théorie de la phylogenèse du mimétisme reste à construire.