
Ce mois-ci, il a choisi de nous entretenir sur les tricheurs... 1er épisode d'une trilogie.
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TRICHEURS, M''AS-TU-VU ET CAMOUFLES :
STRATÉGIES DE PROTECTION DES ANIMAUX DU MILIEU MARIN LITTORAL
ÉTUDIÉS EN PLONGÉE AUTONOME
Homochromie encore que celle de la Thomise petite araignée à la robe vert très pâle, presque blanche, qui chasse à l'affût, camouflée sur des corolles blanches de fleurs. Le camouflage a une double fonction : rendre la proie invisible du prédateur, mais aussi rendre le prédateur invisible de la proie.
La sésie Aegeria apiformis (Clerck) est un papillon, un sphinx, dont les ailes sont presque totalement dépourvues d'écaillés, dont l'abdomen est jaune annelé de noir : ainsi accoutré, notre sphinx ressemble assez fortement à un frelon, Vespa crabo Linné, hyménoptère réputé pour le danger de ses piqûres. La ressemblance à une espèce dangereuse, ce que l'on nomme mimétisme batésien confère-t-elle à ce papillon une réelle protection ? Toujours est-il que la sésie pousse le mimétisme jusqu'à imiter le vol du frelon. Selon Pasteur (1995), le théâtre du mimétisme se joue à trois : un modèle, un mime et une dupe. Le modèle est ici le frelon, le mime la sésie et la dupe le prédateur éventuel de la comestible sésie, qu'il n'attaquera pas par crainte d'avoir affaire au dangereux frelon.
Si les punaises des bois, vertes ou brunes, nous laissent présager un camouflage acceptable dans leur milieu naturel, il n'en est pas de même de ces étonnantes punaises de couleur rouge vif barré de noir que sont les Graphosoma italicum Müller. Et quiconque a un tant soit peu réfléchi au phénomène de camouflage ne peut qu'être étonné d'une telle visibilité que l'on serait tenté de qualifier d'ostensible, tout finalisme exclu.
Ces exemples - tirés du monde des arthropodes terrestres - sont les plus classiquement cités pour illustrer les phénomènes étudiés. Nous allons tenter de montrer que les animaux marins ne sont pas en reste pour pratiquer le camouflage, les mimétismes ou pour arborer des colora-tions vexillaires. Ces exemples seront tirés d'observations personnelles menées au cours de plongées sous-marines sur la Côte Vermeille, dans la région de Cerbère (Pyrénées-Orientales) entre la surface et vingt-cinq mètres de fond.
1 GARE AUX CNIDOCYSTES D'ALICIA
Le premier acte de cette recherche met en scène deux plongeurs biologistes confirmés, qui ont été les dupes bien involontaires d'un étonnant mimétisme.
Au large du cap Cerbère, par vingt-cinq mètres de fond, Robert aperçoit une très grosse limace, immobile, qu'il ne connaît pas.
Les limaces de mer ou opisthobranches étant réputées inoffensives, il tente de la saisir à pleines mains pour l'examiner plus à loisir. Quelques secondes plus tard, de violentes brûlures au niveau de la paume des mains l'obligent à remonter rapidement. La douleur s'estompera en quelques heures.
Revenu au laboratoire, sa description « comme un opisthobranche qui aurait des sortes de tubercules en forme de champignon sur le manteau » et le caractère urticant orientent vers un cnidaire, une anémone de mer, Alicia mirabilis (Johnson) . En extension la nuit, cette très grande anémone se contracte le jour en formant cette boule hérissée de champignons, semblable à une grosse limace, ce qui avait abusé Robert.
Bien entendu, au laboratoire, on note l'information : Alicia mirabilis, commune dans certaines régions de Méditerranée, par exemple à Gibraltar, était observée à Cerbère pour la première fois : un biologiste averti en vaut deux !
Cinq semaines plus tard, Philippe, un autre plongeur biologiste à qui la mésaventure de Robert avait été rapportée, évolue au large de Cerbère, encadrant un groupe de stagiaires.
Une palanquée voisine l'appelle, lui montre une boule hérissée de petits tubercules sur une gorgone pourpre.Philippe griffonne aussitôt sur son ardoise, à l'intention de ses stagiaires « ALICIA - Danger -Ne pas toucher - URTICANT». Mais, bousculée par un courant de palmage, la boule tombe, révélant un pied musclé.
Lorsque, du bout d'un tuba prudent, on la remet en place, le sommet de la demi-sphère se soulève, comme une coquille, laissant apparaître une branchie et deux tentacules oculaires.
2 TRICHER N'EST PAS JOUER : LES MIMÉTISMES
Un autre cas possible de mimétisme chez les Opisthobranches mériterait d'être confirmé par l'expérimentation. La thuridille Thuridilla hopei a un corps allongé bleu soutenu avec des lignes longitudinales jaunes et blanches. Elle est probablement comestible mais bénéficie de l'immunité conférée par sa ressemblance avec
En effet, une étude scientifique du mimétisme nécessite une expérimentation pour déterminer l'efficacité réelle de ce mimétisme et non pas seulement se contenter de l'appréciation anthropocentrique d'une ressemblance plus ou moins accusée. Après tout, les prédateurs n'ont sans doute pas la même vision des choses que nous
Le mimétisme mullérien est une variante qui est réalisée à l'intérieur d'un groupe zoologique restreint, en général entre animaux très proches les uns des autres. Certains Opisthobranches du groupe des Aeolidiens comme Flabellina affinis.
« L'air de famille » qu'ont les Aeolidiens constitue une sorte de mimétisme partagé et réciproque entre les membres de ce même groupe zoologique.
Son utilité est claire : un prédateur « apprenant » la non-comestibilité d'un animal à la suite d'essais malheureux, si dix espèces mutuellement mimétiques sont confondues par le prédateur, chacune aura à subir, en moyenne, dix fois moins d'essais... Mais il y a plus.
Le cas est équivalent à celui des insectes « qui font le mort », mimant leur propre cadavre, inappétent pour un éventuel prédateur, ajoutant souvent à la « tricherie posturale » l'émission d'une sécrétion odorante évoquant pour ce prédateur l'odeur du cadavre .
Lorsqu'un animal simule un aspect de sa propre éthologie, on parle d'automimèse si le corps simulé (cadavre ou, ici, mue) est seulement inintéressant et non pas repoussant pour l'ennemi : voir la différence sémantique entre -mimèse qui implique l'indifférence et -mimétisme qui implique une action répulsive. L'observation de cet Inachus phalangium fournit donc un cas original d'automimèse où un arthropode mime, non pas son propre cadavre, mais sa propre exuvie.
Mais nous avons fait mieux encore. Constatant lors des premiers essais que les poissons s'intéressaient à l'Inachus en chute, nous avons pu expérimenter et démontrer que les Inachus cerbériens, qui n'ont pas de vêture d'éponge
Suite au Prochain Episode : Les M'as-Tu-Vu et Camouflés.