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La chronique de Gérard BRETON n°4 : L’évolution chez les mollusques - Mai 2006

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Tous les mois, Gérard BRETON vous donne rendez-vous pour une nouvelle chronique.

Pour ce quatrième numéro, il a choisi de nous présenter l'évolution des mollusques en leur prêtant, tels les héros d'une fable, des sentiments que bien sûr ils n'ont pas.

Voir la chronique


Retrouvez le texte complet et illustré de la chronique de Gérard BRETON ci-dessous.
L'évolution chez les mollusques

ou les grands groupes de mollusques et leurs stratégies alimentaires et de protection

par Gérard BRETON, biologiste et géologue
et Robert OMS, club de plongée Cap Cerbère


Nous sommes à bord du Galathea, le 6 mai 1952. Le navire océanographique danois croise dans l'océan Pacifique, à l'Ouest de Costa Rica. Il procède à un dragage par 3570 mètres de fond. On trie le contenu de la drague, sur le pont. Parmi les animaux remontés, une dizaine de spécimens d'un mollusque inconnu : une coquille ayant un peu la forme de celle d'une Patelle, large de 35 et longue de 37 mm, avec des stries d'accroissement et un apex recourbé vers l'avant.
Sa radula a 40 rangées de onze dents, son tube digestif est rectiligne. Le pied, servant à la reptation, est entouré d'une cavité palléale où se trouvent 5 paires de branchies disposées de manière symétrique et régulière. 8 paires de muscles rétracteurs laissent leur empreinte sous la coquille. Le corps est donc métamérisé, c'est-à-dire qu'on y retrouve, au niveau des branchies et des muscles, mais aussi des reins et du système nerveux, la répétition d'un motif identique d'avant en arrière, chaque métamère comportant au plus une paire de muscles et une paire de branchies.
Parmi l'équipe scientifique, un zoologiste un peu paléontologue reconnaît un représentant actuel d'un groupe florissant il y a 425 millions d'années, les Monoplacophores (étym: qui portent [phor.-] une coquille [plac.-] à une seule [mono,-] valve), parmi lesquels se trouvait le fossile silurien Pilina inguis.
Ce mollusque inattendu sera nommé en 1957 par Lemche Neopilina galatheae : les noms de genre et d'espèce parlent d'eux-mêmes !
Mais bien avant d'être ainsi portée sur les fonds baptismaux, en référence à son ancêtre silurien, dès ce mois de mai 1952, les zoologistes sont certains d'avoir mis la main sur une découverte exceptionnelle. Un « fossile vivant », puisqu'on croyait le groupe des Monoplacophores éteint depuis belle lurette ! Mais aussi un « maillon manquant », et un modèle vivant de l'archétype, l'ancêtre de tous les mollusques. Certes, de ce point de vue, on déchantera un peu au fil des découvertes. Mais notre Neopilina, avec sa métamérie, ses branchies, son tube digestif rectiligne de la bouche à l'anus, et quelques autres caractères — n'évoque-t-il pas l'ancêtre proche des Annélides que les évolutionnistes des années cinquante imaginaient comme souche de tous les autres groupes de mollusques ?
En fait, en 1952, Neopilina apparaît comme un modèle vivant du mollusque primitif à partir duquel, il y a 540 millions d'années, l'évolution a fait dériver les six grandes classes des mollusques actuels (les solénogastres et les caudofovéates ne seront pas traités ici).
Pour décrire l'itinéraire de l'évolution, nous allons prêter aux Mollusques, tels les héros d'une fable, des sentiments que bien sûr ils n'ont pas, et insister sur un seul aspect des choses : on ne survit (et on évolue) dans la nature que si l'on mange sans être soi-même mangé. C'est sous ce double aspect stratégies de protection/stratégies de nutrition que nous décrivons les six classes.

Les « Sam'suffit »

Les Monoplacophores n'ont guère évolué entre Pilina et Neopilina, en 425 millions d'années. Brouteurs, protégés par une coquille unique, ils n'ont pas innové et ne se sont pas écartés du plan d'organisation qui était celui de l'ancêtre des mollusques : coquille unique, patelliforme, tube digestif rectiligne, métamérie.

Les simplets

Les Scaphopodes ou dentales se sont contentés d'allonger leur coquille qui est unique, en forme de défense d'éléphant et ouverte aux deux bouts. Ils vivent à demi enfouis dans le sédiment (enfouissement et  ancrage grâce au pied) en trouvant la nourriture grâce à des filaments adhésifs qui recherchent, capturent les microorganismes (Foraminifères) du sédiment, et les ramènent à la bouche où ils sont broyés par une radula puissante.

 
 Les bricoleurs

Les Polyplacophores ou Chitons ont su allier la protection conférée par la coquille et la souplesse - toute relative - des armures des chevaliers du Moyen-Âge : ils ont bricolé, à partir de la coquille patelliforme de l'ancêtre, une coquille articulée de 8 plaques. Ce sont des brouteurs d'algues des substrats durs qui vivent sous les pierres, ce qu'on appelle un habitat cryptique. Il est à noter que si la métamérie de l'ancêtre est conservée - il y a une paire de muscles par plaques, et les branchies sont disposées par paires symétriques - la métamérie de ces branchies est dissociée de celle des muscles et des plaques.

Les pantouflards

Dans le groupe des Bivalves (anciennement Lamellibranches : branchies en lamelles ou Pelécypodes : pied en forme de hache), on a adopté la solution la plus pantouflarde qui soit : l'adulte ne se déplace pas, reste immobile. Cela permet, certes, de faire l'économie d'appareils sensoriels et locomoteurs perfectionnés. Mais cela engendre des inconvénients ! Pour se nourrir, d'abord. Notre pantouflard est contraint, comme beaucoup d'invertébrés marins immobiles (éponges, ascidies…) de filtrer l'eau, et d'en extraire l'oxygène respiratoire et les matières en suspension nutritives. Il aura un siphon inhalant et un siphon exhalant, et, tel le shadock, sera contraint de pomper pour survivre: plus poliment on le qualifie de suspensivore actif.

Qu'il soit fixé au rocher par une valve cémentée ou par un byssus, libre sur le fond, ou enfoui dans le sédiment, reste le problème de la protection contre les prédateurs: une coquille, héritée de l'ancêtre mais à deux valves et à charnière, se referme à l'approche d'un prédateur, et le tour est joué. Pantouflard, peut-être, mais prudent.

Les intellectuels

Si l'on s'engage comme les Céphalopodes sur la voie opposée de la mobilité, la coquille protectrice ne sera plus nécessaire, et elle serait même un handicap lors de la fuite devant un prédateur parce que trop lourde. Du Nautile au Poulpe en passant par la Seiche et le Calmar, on assiste à un allégement de la coquille, qui sert à l'équilibration hydrostatique, devient interne et réduite, et disparaît. Ainsi libérés de cette maudite coquille, nos céphalopodes vont pouvoir nager, vite et bien, non seulement pour échapper aux prédateurs mais pour chasser.

Des appareils sensoriels perfectionnés (une vision sans doute proche de celle des Vertébrés), une nage rapide, avec un mode de propulsion original - à réaction - des possibilités intéressantes de camouflage ; tout ceci doit être coordonné par un système nerveux central perfectionné, qui confère par exemple au Poulpe une forme d'intelligence qui en fait sans doute le plus « intellectuel » des invertébrés.

Les tordus

À partir de l'ancêtre semblable à Neopilina, et en conservant l'option « brouteur » comment faire pour optimiser le rendement? Les Gastropodes d'abord abandonnent la métamérie qui oblige à une organisation longitudinale du corps. Ils conservent le pied pour ramper, la radula du brouteur, et la possibilité de coller la coquille au rocher, solution simple et efficace de protection.

L'allongement du tube digestif pourrait optimiser la digestion des matières végétales broutées. Qu'à cela ne tienne. Une torsion du corps à 180° permet au tube digestif de faire une grande boucle, et la coquille suit : d'une certaine manière, l'enroulement en hélice de la coquille de ces gastropodes est le corollaire de cette torsion. Une conséquence de cette torsion est de ramener la branchie d'arrière en avant, en avant du cœur, d'où le nom de Prosobranches (branchie antérieure) donné à ces gastropodes.

Mais il y a plus tordu encore. Les Opisthobranches sont, en quelque sorte, des prosobranches « détordus ». Ils ont retrouvé le tube digestif rectiligne bouche-anus de leur lointain ancêtre Monoplacophore, ils ont une symétrie bilatérale au moins en apparence. La branchie dans cette détorsion, est passée à l'arrière (Opisthobranche = branchie postérieure). De plus, ces rampants, brouteurs végétariens ou carnivores comme les Céphalopodes, abandonnent la coquille. Or, dans les autres groupes, quelle que soit sa forme simple (les simplets), articulée à 8 valves (les bricoleurs), articulée à 2 valves (les pantouflards), à une valve en hélice (les tordus), la coquille joue un rôle protecteur.

Dépourvus de coquille, nos Opisthobranches vont déployer des défenses chimiques, sécréter des substances toxiques ou ayant mauvais goût, faire savoir aux prédateurs éventuels qu'ils ont mauvais goût par leurs couleurs vives ou bariolées (aposématisme) ou mimer un modèle aposématique (mimétisme), ou encore emprunter aux hydraires dont ils se nourrissent des cnidocystes, micro – harpons venimeux aptes à décourager les prédateurs.
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