
Pour ce second numéro, il a choisi de nous faire découvrir des milieux très particuliers qu'il appelle milieux marginaux, afin d'y observer les animaux qui y vivent.
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EN INTRODUCTION, le sourire de bienvenue d'un bar, que l'on appellerait loup en Méditerranée, surpris un jour de janvier dans un bassin du port du Havre. Remarquons au passage les deux parasites – des copépodes – sur son front.
PREEMINENCE DES FILTREURS
Les Moules sont, avec d'autres Mollusques Bivalves, des représentants des filtreurs. Le bord de leur manteau ménage deux boutonnières, l'une pour l'entrée d'eau, l'autre pour la sortie. Par leur entrebâillement, on aperçoit les branchies blanches.
Les éponges sont aussi des filtreurs actifs fréquents dans les milieux marginaux. La même espèce – ici, Haliclona cinerea – se trouve aussi bien dans le port du Havre (cette photo) que, par exemple, à Port-Vendres en Méditerranée.
Les ascidies,invertébrés marins assez haut placées dans la hiérarchie animale malgré leur apparence très simple à l'état adulte, ne sont guère connues du grand public. Ce sont des filtreurs coloniaux comme ce Botrylloides (Arcachon) …
… sociaux comme ces délicates Clavelines (Thau) ou bien …
… solitaires comme l'omniprésente Ciona (Thau, mais elle abonde aussi au Havre, à la Rochelle, etc.) …
… ou encore cette Phallusia fumigata, bien nommée, du port de Palmeira (Cap Vert), la même espèce existe dans le port de Port-Vendres et aussi en milieu marin franc.
ESPECES PLUS OU MOINS CARACTERISTIQUES
Les méduses Aurelia sont très fréquentes dans ces milieux marginaux. Ici, à Thau, nous assistons à la capture d'une petite Aurelia par l'anémone de mer Anemonia viridis, cannibalisme à l'échelle de l'embranchement puisque l'une et l'autre sont des Cnidaires.
Chrysaora est une autre méduse, que l'on rencontre aussi en mer ouverte.
Pour rester dans les Cnidaires, l'anémone de mer Cereus pedunculatus est l'un des hôtes les plus fréquents des milieux marginaux, surtout lorsqu'ils sont un peu envasés.
Ce Cérianthe de Llyod a été photographié dans le port de La Rochelle (cliché Philippe Breton), mais se trouve aussi dans des milieux abrités de Méditerranée.
Les Spirographes peuvent se trouver en pleine mer, mais ils sont particulièrement fréquents dans les milieux marginaux, ici, l'étang de Thau. Ils déploient dans l'eau leur panache qui sert à la fois de filtre à nourriture et de branchie ; à la moindre alerte, ils le rétractent dans leur tube.
Egalement photographié à Thau, ce Bernard l'ermite très caractéristique des milieux marginaux est entouré d'une éponge Suberites domunculus, « domunculus » signifiant « petite maison ». En effet, l'éponge grandit en même temps que le Bernard l'ermite, ce qui le dispense de changer de coquille à chaque mue.
La Seiche est une espèce mixte que l'on rencontre aussi bien en pleine mer que dans les basins marginaux, ici, l'arrière-port de Capbreton, dans les Landes. C'est un chasseur actif.
Le Gobie noir ne se rencontre que dans les milieux marginaux, où les populations peuvent être très denses. C'est une espèce territoriale qui se réfugiera à la moindre alerte dans son « terrier » - ici un flacon au fond de l'étang de Thau. On le rencontre dans tous les bassins ou les ports visités, sauf au Cap Vert, sans doute trop tropical pour lui.
Au contraire du Gobie noir, la très belle Blennie Paon,une rareté des environnements marginaux, n'est réellement abondante que dans l'étang de Thau, où elle a été photographiée.
L'Hippocampe à nez court (Arcachon)
et l'Hippocampe moucheté (Thau) sont également des espèces des milieux marginaux, mais la seconde fréquente aussi, semble-t-il, un milieu marin plus franc.
ESPECES INTRODUITES OU INVASIVES
Undaria pinnatifida, ici dans l'étang de Thau, est une grande algue brune cultivée sous le nom de Wakamé au Japon. Introduite dans l'étang de Thau avec du Naissain d'huîtres japonaises, elle s'est répandue sur la côte méditerranéenne. Elle a fait l'objet d'une seconde introduction distincte en Atlantique, sur les côtes sud de Bretagne après une tentative avortée de culture marine d'où elle s'est échappée : on la trouve aujourd'hui en Manche.
Ce crabe japonais Hemigrapsus penicillatus semble avoir été, lui aussi, le héros de deux introductions séparées. Une première implantation dans la région de La Rochelle (avec du naissain d'huîtres japonaises ?) a été suivie d'une expansion à la vitesse de 200 km/an sur la côte atlantique de la Biscaye jusqu'à la Loire. Quelques années plus tard, il est apparu et s'est implanté dans le port du Havre, sans doute à la suite du déballastage de navires ayant hébergé des larves de ce crabe dans leur eau de ballast. C'est un havrais qui est photographié ici. Au Havre, mais aussi aux Pays-Bas, son cousin Hemigrapsus sanguineus, d'origine japonaise également, est arrivé quelques années plus tard, en 2000.
Ce petit ver qui déploie son panache à l'extrémité d'un tube calcaire est une serpule Hydroides ezoensis. La migration de cette espèce introduite s'est déroulée de manière particulière. Il est arrivé du Japon (encore !) dans la région de Portsmouth où il a proliféré (espèce invasive) pendant dix ans sans s'étendre géographiquement. Puis il a traversé la Manche, et est arrivé au Havre. Il était très peu abondant lorsqu'il a été repéré au printemps sur un quai du Havre (0,2 à 0,5 individu / m²). Il a connu l'été suivant une explosion démographique lui permattant d'atteindre localement les 3000 individus / m² sur plusieurs quais.
Didemnum sp., ascidie coloniale, n'a pas été identifiée à ce jour avec une totale certitude. Elle est probablement introduite dans le port du Havre où elle est photographiée. Après son introduction, elle y a connu une démographie explosive : elle a pu recouvrir 100 % de certains quais, puis la population a décliné. Cette même espèce (ou un groupe d'espèces voisines) semble avoir connu une phase invasive comparable et à peu près en même temps un peu partout dans le monde (USA, Europe, Nouvelle-Zélande)
PRODUCTION PRIMAIRE ET AQUACULTURE
La forte productivité (en plancton végétal puis animal) de ces milieux marginaux est mise à profit pour l'aquaculture de filtreurs : pensons aux huîtres de Bouzigues (cette photo des « tables » ostréicoles de l'étang de Thau) ou d'Arcachon.
LE DOMAINE PARALIQUE où l'on va enfin parler de la salinité pour dire que ce n'est pas cela le plus important …
Artemia salina, la célèbre « Pifise », est un crustacé primitif à allure de très petite crevette qui vit aussi bien dans les milieux sursalés (marais salants, lagunes tropicales qu'en eau saumâtre. Les bassins marginaux de Thau au port du Havre dont nous avons parlé jusque là ont une eau saumâtre, mais on n'y rencontre guère d'Artemia salina, surtout pas aux concentrations représentées sur la photo, prise en milieu sursalé. Chaque Artemia mesure, au plus, un centimètre de longueur.
Cette photo du nuage d'Artemia salina a été prise dans les salines de Pedra Lume, île de Sal (=sel en portuguais), archipel du Cap-Vert. Dans un ancien volcan, l'effondrement du plancher du « cratère » a amené le fond légèrement en dessous du niveau de la mer proche (environ un kilomètre). L'eau de mer s'infiltrant par des fissures et arrivant dans cette caldeira s'y évaporait naturellement, ce qui a été mis à profit pour y organiser une saline.
Au fur et à mesure de l'évaporation de l'eau de mer, les sels les moins solubles cristallisent les premiers, ici, du gypse ou sulfate de calcium hydraté.
Puis c'est au tour du sel de cristalliser sous forme de halite cubique. L'eau qui l'entoure est saturée en sel (environ 350 g / l) A cette concentration, aucun organisme ne peut survivre, à l'exception de bactéries dites halophiles qui colorent parfois les bassins les plus concentrés en orange ou en rouge.
L'hiver suivant, tous les supports disponibles étaient envahis par les Ficopomatus enigmaticus, organismes opportunistes. Cependant, comme dans le cas des malaïgues méditerranéennes, la « guérison » était acquise l'été suivant : les imposantes constructions à Ficopomatus étaient démantelées, les Ficopomatus avaient repris leur place habituelle et modeste au sein de la biocénose, et le milieu avait retrouvé sa biodiversité habituelle.
Cette notion n'a pas été acceptée d'emblée par la communauté scientifique, et les zoologistes sceptiques ont tôt fait de surnommer les deux jeunes promoteurs de la notion de paralique « les babouins du paralique ». Il faut rendre hommage à leur courage face à une communauté scientifique où le sens de l'humour n'était sans doute pas la vertu la mieux partagée, pour avoir publié, aux Presses de l'Ecole Normale Supérieure, à la fin de leur ouvrage sur le paralique, la photo de deux babouins regardant dans la même direction, l'un disant à l'autre « Zone III ? », l'autre répondant « zone III, bien sûr ! », et signé : Les Babouins du Paralique.
Quittons le domaine paralique avec l'évocation de cette Aplysie de l'étang de Thau, ce lièvre de mer bien fréquent dans les bassins paraliques.