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Année Internationale de la Pomme de Terre 2008

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L' Année internationale de la pomme de terre (IYP) 2008 proclamée par l'Organisation des Nations Unies entend attirer l'attention du monde sur le rôle fondamental de la pomme de terre et de l'agriculture en général dans la lutte contre la faim et la pauvreté.

Au cours des vingt prochaines années, la population mondiale devrait croître de plus de 100 millions d'habitants par an, dont plus de 95 pour cent dans les pays en développement où la pression sur la terre et l'eau est déjà très forte. Un défi principal que doit relever la communauté internationale consiste, par conséquent, à garantir la sécurité alimentaire des générations présentes et futures, tout en protégeant la base de ressources naturelles dont nous dépendons tous. La pomme de terre sera un élément important des efforts déployés pour relever ces défis...

Site web de l'Année internationale de la pomme de terre 2008

Vidéo publiée par FAOmultimédia (durée  : 5 min 25)



Et en Haute-Normandie...
Notre région accueille à Bretteville-du-Grand-Caux la station de création variétale du Comité Nord Plants de Pommes de Terre. Ce Comité regroupe les syndicats des producteurs de plants de pommes de terre du Nord de la France.
L'établissement situé à Bretteville a pour vocation de permettre la création de variétés nouvelles de pommes de terre orientées vers la consommation directe, la transformation humaine (chips, flocons déshydratés, surgelés...) et la fécule.


La Station de Recherche du Comité Nord accueillera l'inauguration régionale de la Fête de la Science et proposera au grand public des animations.

Animations " La Pomme de Terre dans tous ses états "
Station de Recherche du Comité Nord
Rue de la petite Chaussée
Du 14 au 21 nov. 9h-17h sauf les 15 et 16 nov. 10h-16h
Renseignements : 0235278657

Plaquette de présentation du Comité Nord Plants de Pommes de Terre

Site web du Comité Nord Plants de Pommes de Terre

Site web pour tout savoir sur la pomme de terre française

 
Programme régional


 Version courte (durée : 8 min)  Version longue (durée : 28 min)
  "De l'in-vitro à la fourchette"
Vidéo du Comité Nord présentant les différentes étapes pour sélectionner et certifier de nouveaux plants de pommes de terre


"Créer de nouvelles variétés de pommes de terre"
Vidéo sur la station de recherche du Comité Nord à Bretteville-du-Grand-Caux réalisée en 1999 par  le CDDP de la Seine-Maritime (durée : 15 min 40).



Téléchargez le texte illustré
Rouen, Parmentier, Mustel et la pomme de terre

Communication du Dr Karl FELTGEN lors de la séance du 25 octobre 1995 du GROUPE HISTOIRE DES HÔPITAUX DE ROUEN
Pourquoi vouloir réunir dans une même communication la capitale normande, le célèbre philanthrope que fut PARMENTIER, le pionnier méconnu que fut le Chevalier MUSTEL et le légume si répandu qu'est aujourd'hui la pomme de terre ? Concernant cette dernière et PARMENTIER, le rapprochement semble évident, mais pourquoi à Rouen et que savons-nous de MUSTEL ?
Nous espérons que l'histoire que nous allons retracer vous permettra d'entrevoir le lien qui les unissait au XVIIIè siècle et qui doit continuer à les unir dans notre mémoire.
Présentons tout d'abord les différents éléments de ce tableau historique. Honneur à la pomme de terre.


1. Histoire de la pomme de terre -1

Cultivées dans les Andes dès 2000 ans avant J.C. et probablement plus tôt, les "Papas" ne furent découvertes par les Européens qu'à la fin du XVè siècle, avec le continent américain. Ce sont logiquement les Espagnols qui introduisirent cette plante en Europe au début du XVIè siècle. D'Espagne, elle passa en Italie, puis aux Pays Bas, en Autriche, en Allemagne, en Suisse et dans l'Est de la France (Dauphiné) où elle est connue dès la fin du XVIè siècle.
Dénommée "Tartuffoli" en Italie, qui signifie "truffe", elle prend le nom dérivé de "Tarteuffel" ou "Kartoffel" en Allemagne et celui de "Cartouffle" en France. En 1596, le botaniste suisse Gaspard BAUHIN lui donne son nom scientifique de "Solanum tuberosum", consacré plus tard par LINNE.
A la fin du XVIè siècle, elle est communément utilisée en Italie et en Allemagne dans l'alimentation humaine et animale. A cette même époque, elle est apportée du Nouveau Continent en Irlande et en Angleterre.
A la fin du XVIè siècle, elle est communément utilisée en Italie et en Allemagne dans l'alimentation humaine et animale. A cette même époque, elle est apportée du Nouveau Continent en Irlande et en Angleterre.
Au XVIIè siècle, sa diffusion se poursuit. Des personnalités comme celle de Charles de l'ESCLUSE (1526-1609) ou celle d'Olivier de SERRES (1539-1619) contribuent activement à sa divulgation.
En France, elle est cultivée dans les Vosges, en Lorraine, Bourgogne, Franche-Comté et en Dauphiné. A Paris, on la retrouve dans le Jardin Royal en 1665. Cependant, à cette époque, la diffusion de ce tubercule et son acceptation dans l'alimentation humaine restent difficiles. En Franche-Comté, par exemple, la croyance circule que la pomme de terre donne la lèpre.

Malgré ces suspicions, somme toute légitimes vis à vis d'une solanacée, de nombreux agronomes cultivaient la pomme de terre au XVIIIè siècle.

Elle était alors essentiellement utilisée dans l'alimentation animale et dans ce cas, cultivée à grande échelle. L'homme ne la dédaignait pas, bouillie avec du lard ou du salé ou cuite sous la cendre ; et son intérêt en cas de disette était déjà souligné par DUHAMEL DU MONCEAU (1700-1782) en 1762.
Si la pomme de terre était loin d'être inconnue au milieu du XVIIIè siècle en France, elle n'était cependant pas répandue dans toutes les provinces ni dans toutes les classes sociales comme en témoigne cet article de 1765, tiré de la Grande Encyclopédie :
" Cette plante..., est cultivée en beaucoup de contrées de l'Europe et notamment dans plusieurs provinces du Royaume,... . Le peuple de ces pays, et surtout les paysans, font leur nourriture la plus ordinaire de la racine de cette plante pendant une bonne partie de l'année. Ils la font cuire à l'eau, au four, sous la cendre, et ils en préparent plusieurs ragoûts grossiers ou champêtres. Les personnes un peu aisées l'accomodent avec du beurre, la mangent avec de la viande, en font des espèces de beignets, etc. Cette racine, de quelque manière qu'on l'apprête, est fade et farineuse. Elle ne saurait être comptée parmi les aliments agréables ; mais elle fournit un aliment abondant et assez salutaire aux hommes qui ne demandent qu'à se sustenter. On reproche avec raison à la pomme de terre d'être venteuse : mais qu'est ce que des vents pour les organes vigoureux des paysans et des manoeuvres ? ".
Quant à la Normandie, elle semble avoir longtemps négligé ce tubercule, pourtant si prisé ailleurs.-2
Il fallut, pour vaincre une réticence prudente, faire miroiter aux Normands une "nouvelle source de richesse".
Etrangement, c'est pourtant cette région qui prit la part la plus importante dans la campagne de propagande en faveur de la pomme de terre et nous allons voir comment. Mais, avant cela, il nous faut en présenter les deux acteurs principaux : MUSTEL et PARMENTIER.

2. Le chevalier MUSTEL -3

François-Georges MUSTEL naquit à Rouen, le 11 août 1719. Il se consacra à la carrière militaire qu'il ne quitta qu'à la paix de 1763. En considération des services rendus par lui, en qualité de capitaine de dragons de la Légion Royale, il devint pensionnaire de l'Etat et fut fait Chevalier de l'Ordre Militaire de Saint-Louis.
Au cours de la guerre de sept ans (1756-1763), il eut l'occasion de voyager en Allemagne, en Flandres et en Alsace. De retour dans sa Normandie natale, il employa son loisir à l'agriculture pour laquelle, comme il l'écrivit, il avait " un goût pour ainsi dire inné. " -4
Parmi les nombreux souvenirs que MUSTEL avait rapportés de ses campagnes militaires, et notamment de la guerre de sept ans, l'un d'entre eux détermina l'avenir de notre capitaine retraité : celui de la pomme de terre :
" Il n'y a point de Militaire -écrivit-il- qui ne sçache combien ce légume a puissamment contribué à la subsistance de nos armées en Allemagne. Les soldats et mesme les officiers en mangeaient dans leurs soupes, et apprêtées de différentes façons. Il n'y avait guère de feux aux gardes de nos armées où les soldats n'en fissent cuire pour les manger toute la nuit. " -5
Témoin de ces orgies culinaires et de leur bonne tolérance, MUSTEL, dès son retour à Rouen, sentit vibrer en lui la fibre philanthropique et décida de faire jouir sa patrie d'un bien dont il avait reconnu les avantages -6. Nous verrons plus loin de quelle manière.
3. Antoine-Augustin PARMENTIER -7
Antoine-Augustin PARMENTIER, quant à lui, naquit le 12 août 1737 à Montdidier en Picardie. Il eut comme point commun avec MUSTEL d'embrasser la carrière militaire. En 1757, au début de la guerre de sept ans, il est nommé pharmacien de troisième classe. L'année suivante, il passe deuxième classe puis, en 1760, pharmacien de première classe ou aide-major.
A la paix de 1763, PARMENTIER rentre au pays. A Paris, il suit les cours du Jardin du Roi, en particulier le cours de chimie de ROUELLE.
En 1765, il obtient, sur concours, les fonctions d'apothicaire major "gagnant maîtrise" de l'Hôtel Royal des Invalides où il loge dès 1766.
Comme pour MUSTEL, la guerre de sept ans avait été pour PARMENTIER, l'occasion de faire connaissance avec la pomme de terre. En effet, durant le conflit, notre Picard avait été fait prisonnier à plusieurs reprises et avait eu alors l'avantage de goûter à une invariable bouillie de pommes de terre. Loin d'en être dégoûté, PARMENTIER écrivit à propos de ces racines :
" Elles ont été ma seule ressource pendant plus de quinze jours et je n'en fus ni fatigué, ni indisposé. Le besoin m'avait condamné à ce régime et le goût me le fit adopter par la suite. "
Il se souvint, lui aussi, de ses expériences culinaires lorsqu'en 1771, il décida de concourir pour le prix de l'Académie de Besançon. Celle-ci, après la grande famine de 1769, avait en effet choisi de récompenser le meilleur mémoire répondant à la question suivante : " Quels sont les végétaux qui pourraient suppléer en cas de disette, à ceux que l'on emploie communément à la nourriture des hommes et quelle en devrait être la préparation ? "
Dans sa séance du 24 août 1772, l'Académie de Besançon couronna le mémoire de Parmentier. L'année suivante parut la première oeuvre de PARMENTIER ayant pour objet, entre autres, la pomme de terre.

4. Rouen, capitale normande

Pour terminer la description du tableau dans lequel évoluèrent ces trois protagonistes, il nous faut dire quelques mots sur Rouen.
Au XVIIIè siècle, la capitale normande n'était plus la deuxième ville du Royaume, qu'elle avait été au XVIè siècle, mais elle restait l'une des principales et l'une des plus riches. Elle comptait alors environ 70.000 habitants qui étaient alimentés par les jardins des faubourgs et par la richesse de l'arrière pays.
Dans une telle cité, l'activité intellectuelle était florissante. En 1744, Rouen se dota d'une Académie des Sciences, Arts et Belles-Lettres et, en 1761, un arrêt du Conseil d'Etat du Roi ordonna l'établissement d'une Société d'Agriculture dans la Généralité de Rouen. -8
Pour informer les Rouennais, furent créés en 1762 les "Annonces, Affiches et Avis divers de Haute et Basse Normandie". Parmi ses premiers chroniqueurs figurait le célèbre chirurgien LE CAT. Cet hebdomadaire eût son rôle à jouer dans la propagande qui entoura la pomme de terre.
Mais voyons maintenant comment Rouen participa de façon non négligeable à la diffusion de ce tubercule dans la France du XVIIIè siècle.

5. Un rouennais se prend d'intérêt pour les pommes de terre et décide d'en faire du pain

Comme nous l'avons vu, les prudents Normands n'étaient pas particulièrement attirés par ces espèces de truffes à l'origine obscure. Mais, à une époque où tout ce qui pouvait contribuer au soulagement des pauvres méritait considération, les personnes éclairées ne pouvaient rester insensibles à cette nouvelle culture venue de l'Est, surtout si elle pouvait apporter quelque avantage financier.
Ainsi, un article paru dans les Annonces de Normandie du 30 janvier 1767, après avoir vanté l'intérêt des "patates ou pommes de terre" dans l'alimentation animale et humaine, exhortait les Normands soucieux d'économie :
" Il serait donc bien à désirer que Messieurs les Curés, Seigneurs, et même Cultivateurs, donnassent un peu d'attention à cette nouvelle source de richesses ; puisqu'outre le profit qu'ils en pourraient retirer, ils auraient par-là une facilité de secourir à peu de frais des malheureux, dont le nombre, surtout dans les tems durs ou de disette, n'est que trop grand. " -9
Mais comment expliquer cet intérêt soudain alors que la " répugnance presque décidée des Normands pour ce légume " était bien connue ?
C'est que depuis quelques temps, le Chevalier MUSTEL, habitant du faubourg St Sever, s'était mis à cultiver les pommes de terre et avait recherché quels bénéfices il pouvait en tirer pour l'humanité. Il communiqua ses vues au Marquis DE LIMEZY, Directeur de la Société d'Agriculture de Rouen, et présenta devant cette assemblée, le 26 mars 1767, un Mémoire sur la culture des pommes de terre et la manière d'en tirer un "pain oeconomique".
La semaine suivante (le 2 avril 1767), le chevalier MUSTEL présentait à la savante compagnie " quatre pains très bien levés, blancs et légers "faits selon sa recette. -10
Avant même que son Mémoire fut publié, paraissaient dans les Annonces du 10 avril 1767 les lignes suivantes :

" Il vient de se faire une découverte trop importante pour le bien public, pour que nous négligions de la faire connoitre autant qu'il dépend de nous. M. MUSTEL, Chevalier de l'Ordre Royal et Militaire de Saint-Louis, a lu à la Société Royale d'Agriculture un mémoire au sujet de la culture des pommes de terre et des différens avantages qu'on en peut retirer, et sur-tout sur celui d'en faire de très-bon pain. Il a fait goûter en même tems de ce pain, qui est blanc, de bon goût, très sain, et ne diffère en rien en apparence du pain de froment ordinaire. De quelle ressource ne serait-il pas dans des années où le bled serait cher, puisqu'il y a plus de la moitié du prix à gagner ; et de quel avantage ne peut-il pas être pour les pauvres, dans les hôpitaux et dans les villages, qui ne mangent très-souvent que du pain grossier de mauvais goût et même mal sain ? ".-11
Cet article avait paru sans l'aveu de MUSTEL qui réservait son Mémoire au troisième volume de la Société d'Agriculture. Cependant, la curiosité devenait trop vive et l'hebdomadaire recevait de nombreuses lettres demandant " de plus amples détails au sujet du pain de pommes de terre "-12 Le Mémoire ne pouvait plus attendre. Pour satisfaire l'empressement du public, la Société d'Agriculture prit donc, le 30 avril 1767, la décision de faire imprimer le Mémoire de MUSTEL en lui offrant le titre d'Associé de la Société.-13
Ainsi parut à Rouen en 1767 le " Mémoire sur les pommes de terre et sur le pain oeconomique "-14 dans lequel le Chevalier MUSTEL exposait notamment sa méthode pour obtenir une bouillie de pommes de terre utilisable dans la fabrication d'un pain comprenant 1/3 ou 1/2 de farine de froment, et dont le coût de revient était inférieur à celui du pain ordinaire.
MUSTEL s'efforçait de vanter les qualités gustatives de son pain et surtout son intérêt économique ; ainsi écrivait-il : " En supposant qu'au moyen de l'usage du pain de pommes de terre en Normandie, on y consommât un quart de bled moins qu'auparavant, il me semble qu'au moyen de l'exportation et de la circulation intérieure de cette denrée, il en rentreroit en Normandie un quart d'argent de plus. "-15
Cet ouvrage eut un franc succès. Plusieurs papiers publics en parlèrent dans le Royaume et il fut traduit en Allemagne, en Angleterre et en Italie, par ordre du Gouvernement.-16
MUSTEL ne s'arrêta pas en si bon chemin. Voyant que pour " vaincre entièrement les préventions, il fallait joindre à l'instruction la pratique et l'exemple "-17, il s'adressa à Jean-Baptiste François DELAMICHODIERE, Intendant de la Généralité de Rouen, pour pouvoir cultiver la pomme de terre sur une plus grande échelle.
MUSTEL trouva en l'intendant un interlocuteur favorable, qui sentait " que cette culture étoit le meilleur présent que l'on pût faire à la Province. " -18
Mais cela ne se fit pas sans difficultés comme nous l'explique MUSTEL :
" Mais, outre les objections, les contradictions, etc., que l'ignorance, la prévention et même la méchanceté suscitèrent, il se trouva un obstacle bien réel ; c'est que nous ne pûmes alors trouver, malgré toutes nos recherches, ni à Rouen, ni à Paris, des pommes de terre pour en planter. M. GARWAI fut chargé, par Monsieur l'Intendant, d'en faire venir d'Angleterre ".-19
Six boisseaux en produisirent alors cinq cent quatre vingt.
Cette première récolte, et les suivantes, " furent distribuées à des cultivateurs qui vinrent en demander de plus de cinquante lieues-20 , principalement de l'Isle de France et de la Beauce ".-21
Ainsi débuta la propagation de la pomme de terre en Normandie et dans la région parisienne. Mais un obstacle se dressa alors et, fait curieux, il surgit là où on ne l'attendait plus : à Rouen.

6. L'affaire de la lettre anonyme

Le 12 septembre 1770, MUSTEL écrivait au nouvel intendant, Thiroux de CROSNE, pour le prier de déterminer le Ministre à affecter une somme suffisante pour la distribution gratuite de semence de pomme de terre aux cultivateurs-22. La demande fût transmise en haut lieu et, le 26 février 1771, Thiroux de CROSNE recevait la réponse suivante de l'abbé TERRAY-23 :
" Les détailes que vous me donnes sur l'utilité de la culture des pommes de terre et sur la façon de penser sur la conduite et le zèle de Mr le Chevalier MUSTEL me rendent très favorable à sa demande. Vous pouvés, Monsieur, disposer d'une somme de 300 livres sur les deniers appartenant à sa Majesté dans votre généralité et je vous prie telle modique que soit cette somme d'en suivre l'emploi ".-24
Mais dans le même temps, le Contrôleur Général des Finances avait à régler l'affaire de la lettre anonyme.
Cette lettre était parue le 1er février 1771, dans les Annonces de Normandie et était intitulée : " Lettre à un vrai Citoyen, adressée aux Médecins, sur le pain fait avec des pommes de terre ".-25
L'auteur anonyme en donne le ton dès le début : " Il n'est presque point d'art en France qui ne soit soumis à l'empire de la mode. Les Sçavans n'ont pu s'y soustraire. C'est elle qui multiplie les Ouvrages Didactiques de ces génies féconds ; c'est elle qui ne leur fait que trop souvent imaginer des systèmes, dont la nouveauté fait tout le mérite ; c'est elle, en un mot, qui a produit pour les pommes de terre des Apologies d'autant plus séduisantes, qu'elles semblent, dans les tems de calamité, présenter aux malheureuses victimes de l'indigence un aliment peu dispendieux. Cet aliment, ce pain tant préconisé, est-il aussi salubre que le pain ordinaire ? Ne serait-il point nuisible à la santé des hommes ? "
Si MUSTEL n'est pas nommé, il est directement attaqué. L'auteur anonyme tire ses soupçons de différents traités, médicaux ou non, dans lesquels la pomme de terre n'apparaît pas sous son meilleur jour, et notamment d'un ouvrage d'un médecin suisse évoquant le lien entre la consommation des pommes de terre et la fréquence des Ecrouelles et maladies scrophuleuses.
La lettre anonyme se termine ainsi :
" Après toutes ces différentes observations, seroit-il prudent d'admettre au nombre de nos alimens les pommes de terre ? Ne devons-nous pas au moins douter de leur prétendue salubrité, et d'en différer l'usage jusqu'à ce que, par une décision précise, vous nous ayez appris à quoi nous devons nous en tenir ? "
Malgré une réponse publiée dans ces mêmes Annonces dès la semaine suivante-26, l'affaire n'en resta pas là, et remonta rapidement jusqu'au Contrôleur Général TERRAY.
Aussitôt, et pour mettre un terme à toute suspicion, l'abbé TERRAY s'adressa à la Faculté de Médecine de Paris-27. Une réponse devait être apportée, sans attendre, aux interrogations légitimes exprimées dans la feuille normande. Plusieurs commissaires furent alors nommés parmi les membres de la Faculté. Incapables de se baser sur des faits scientifiques, les auteurs du rapport avouèrent leur ignorance :
" Chargés de vous donner les éclaircissemens nécessaires pour répondre à Monsieur le Contrôleur Général, nous avons aisément reconnu que cette réponse exigeait un travail et des recherches plus étendues que celles que nous avons faites ; mais le tems qu'elles nous auraient pris auroit trop retardé la réponse que vous lui devez ".-28
Les auteurs du rapport ne purent que se reposer sur l'expérience d'une consommation de plus de deux siècles et sur quelques évidences. Ainsi répondirent-ils au médecin suisse :
" Il n'y a qu'un Médecin peu instruit, qui puisse avancer que les écrouelles sont extrêmement rares dans les pays où l'on ne connait point les pommes de terre. Vous savez, Messieurs, qu'elles sont communes à Paris, surtout parmi les gens que la pauvreté met hors d'état de se procurer des alimens d'une bonne qualité, et cependant il y a peu d'années que les pommes de terre se voient dans nos marchés assez communément, pour dire qu'elles font partie de la nourriture du peuple. "-29
Cette réponse suffit à l'abbé TERRAY qui écrivit le 18 juin 1771 à l'Intendant de Rouen, lui joignant plusieurs exemplaires du rapport de la Faculté et lui priant :
" de faire distribuer cet imprimé à ses subdélégués pour qu'ils le répandent dans les contrées où cette denrée peut être intéressante pour la subsistance et pour mettre en valeur les terrains qui ne sont pas susceptibles d'une autre culture. "-30
Le 15 juillet 1771, les Annonces de Normandie informèrent leurs lecteurs de la réponse de la Faculté qui reconnaissait, je cite :
" que la nourriture des pommes de terre est bonne et seine, nullement dangereuse, et qu'elle est même très utile. "-31

7. Parmentier entre en scène

Ainsi l'affaire de la lettre anonyme était close. Mais encore restait-il à apporter des faits scientifiques.
Etrangement ce ne furent pas les membres de la Faculté de médecine -qui comprenait pourtant plusieurs chimistes réputés- qui s'attachèrent à apporter des faits précis. Ce fut un jeune apothicaire âgé de 34 ans et dénommé Antoine-Augustin PARMENTIER.

A son poste d'apothicaire-major à l'Hôtel Royal des Invalides, PARMENTIER avait eu connaissance des travaux de MUSTEL et s'était déjà livré à quelques expériences sur les pommes de terre. Il n'avait pas manqué non plus d'être informé de l'affaire de la lettre anonyme et du rapport de la Faculté de Médecine.
Notre pharmacien sauta sur l'occasion qui lui était présentée de compléter ce rapport en s'attaquant à l'analyse chimique des pommes de terre.
PARMENTIER réunit le résultat de ses expériences dans un mémoire qu'il s'empressa d'adresser au ministre TERRAY. Celui-ci l'envoya aussitôt à la Faculté de Médecine de Paris, lui demandant d'en faire l'examen.
Les mêmes commissaires qui avaient répondu à la lettre anonyme, furent chargé d'analyser l'ouvrage de PARMENTIER.
Ils remirent un rapport favorable au doyen LE THIEULLIER qui, dans un décret du 7 novembre 1772, conclut :
" La Faculté, ..., ne peut qu'approuver le travail d'un Artiste instruit qui a confirmé, par ses expériences, un jugement qui doit être universellement adopté. C'est pourquoi elle a arrêté que l'ouvrage de Monsieur PARMENTIER seroit envoyé au Ministre avec le témoignage d'estime et de distinction qu'il mérite à son Auteur ; "-32
L' "Examen Chymique des pommes de terre" parut dans le Journal d'Agriculture puis fut publié à Paris en 1773.
Ainsi débuta la campagne de PARMENTIER en faveur des pommes de terre.
On le voit, contrairement à une croyance, PARMENTIER ne fut pas le pionnier de la propagation de la pomme de terre en France ; et lui-même n'a jamais revendiqué ce titre. Plusieurs phrases pourraient être tirées de son premier ouvrage pour le prouver. Celle-ci est particulièrement claire :
" Je sais qu'on a déjà beaucoup écrit sur la culture et sur les avantages économiques des pommes de terre ; mais ce sujet est du nombre de ceux dont on ne sauroit trop parler, puisqu'il intéresse la nourriture du peuple, et je ne crois pas qu'il y ait d'objet plus important, plus digne des méditations du Philosophe et de la protection du Gouvernement. "-33
En particulier, PARMENTIER n'omit jamais de signaler ce qu'il devait au chevalier MUSTEL avec lequel il correspondait régulièrement. Ainsi dans son ouvrage de 1778 ayant pour titre "Le Parfait Boulanger", dans lequel il consacre un chapitre au pain de pommes de terre, PARMENTIER qualifie le chevalier MUSTEL de " premier Apôtre des pommes de terre en France, connu par d'excellens ouvrages ", et communique dans leur intégralité " quelques réflexions très judicieuses " -34 de MUSTEL.

Ces réflexions s'étalent sur sept pages et font plus de la moitié de l'article "pain de pommes de terre" qui n'en comporte que onze au total.
Malheureusement, ces bons rapports ne durèrent pas. Le provincial MUSTEL prit ombrage de la montée en grâce de PARMENTIER à la cour, pressentant que son nom risquait de tomber dans l'oubli aux dépens d'un autre. La pomme de terre se transforma vite en pomme de discorde.

8. La bataille du pain de pommes de terre

Déjà en 1762, DUHAMEL DU MONCEAU signalait qu'on pouvait tirer des pommes de terre " une farine très blanche, qu'on mèle avec celle du Froment " et disait avoir mangé lui-même " un pain assez beau, où il n'y avoit de farine de Froment que pour faire le levain "-35. Malheureusement il n'indiquait pas la méthode pour produire cette farine.
MUSTEL, on l'a vu, s'était également intéressé au pain de pommes de terre mais l'obtention de farine restait pour lui un obstacle :
" Il n'est pas aisé de concevoir -écrit-il- comment on parvient à réduire en farine ce légume naturellement aqueux et sans consistance ; ce n'est vraisemblablement qu'en le désséchant au point de lui faire perdre beaucoup de sa substance et de sa qualité. "-36
MUSTEL surmonta le problème de la dessiccation en utilisant une bouillie de pommes de terre qu'il mêlait ensuite à une quantité variable de froment.
PARMENTIER, quant à lui, s'était, dès 1771, intéressé à la fabrication du pain de pommes de terre.
Son plus grand désir était, je cite, de " changer la pomme de terre, sans le concours d'aucun agent étranger en pain comparable, soit par l'aspect, soit par le degré alimentaire, à celui du froment "-37. Pour cela, PARMENTIER ne ménagea pas ses efforts et multiplia les expériences à la Boulangerie de l'Hôtel Royal des Invalides.
En 1777, il parvint enfin à obtenir ce qu'il souhaitait et publia son procédé dans son "Avis aux bonnes Ménagères."-38
Mais cette publication ne lui suffit pas, il voulait diffuser sa découverte et il était mieux placé que MUSTEL pour ce faire.
Avec son ami Antoine Alexis CADET DE VAUX (1743-1828)-39, PARMENTIER organisa en octobre 1778 une visite de la boulangerie des Invalides où il put présenter l'ensemble de ses travaux relatifs à la boulangerie en général et au pain de pommes de terre en particulier.
Parmi les nombreux invités qui se pressèrent autour de l'apothicaire des Invalides, citons le Lieutenant Général de Police LENOIR et le célèbre Benjamin FRANKLIN, alors en mission diplomatique en France. A tous, PARMENTIER expliqua sa technique pour extraire l'amidon de ces tubercules et les différentes étapes de la fabrication du pain de pommes de terre sans l'ajout de farine.
Quelques jours plus tard, un grand repas fut organisé à l'Hôtel des Invalides pour faire apprécier les qualités de ce pain à des invités de marque comme le chimiste LAVOISIER-40. Les gazettes s'emparèrent de cet évènement, assurant une excellente publicité à PARMENTIER. Comme il l'écrivit lui même :
" Cette circonstance produisit son effet : le pain de pommes de terre intéressa l'attention des bons citoyens ; il fut présenté au Roi, aux Princes et aux Ministres, qui l'accueillirent avec bonté. "-41
En 1779, PARMENTIER fit paraître son ouvrage sur la " Manière de faire le pain de pommes de terre, sans mélange de farine. "
Il en profita pour répondre aux attaques suscitées par l'envie, " ce tyran de toutes les découvertes ".-42
En effet, la publicité ayant entouré les travaux des Invalides ne fut pas du goût de tous, et en particulier pas de celui du Chevalier MUSTEL.
En 1779, ce dernier adressa une lettre à l'Intendant de la Généralité de Rouen. Ce manuscrit, conservé initialement aux archives de la Seine-Maritime, demeure introuvable depuis plus de quarante ans-43.

Heureusement, Georges GIBAULT en a donné la copie en 1912 dans son " Histoire des Légumes " : " J'ay sçu qu'un M. PARMENTIER sonne le tocsin à Paris, pour se dire le seul, l'unique auteur du pain de pommes de terre, et cela, dit-il parce qu'il fait du pain avec la pomme de terre sans farine. Cet homme m'a écrit annuellement depuis dix ans pour me demander différents éclaircissements sur mes opérations. Je

lui ay mandé que j'avais fait du pain de pommes de terre avec et sans mixtion de farine, que l'un a été trouvé très bon, et l'autre, purement de pommes de terre, insipide et pâteux, tel que celuy que M. PARMENTIER nous envoie icy, quoiqu'il l'ait relevé par le sel. Cet homme me met donc dans la nécessité de le juger de mauvaise foy et de le regarder comme un intrigant qui veut s'approprier mon travail et surprendre le gouvernement pour en tirer quelque avantage. On sçait combien j'ay travaillé à ce sujet et tout le zèle que j'y ai mis. Il le sçait mieux qu'un aultre, puisque je lui ay communiqué des détails particuliers dont il profite aujourd'huy. "-4
Heureusement, Georges GIBAULT en a donné la copie en 1912 dans son " Histoire des Légumes " : " J'ay sçu qu'un M. PARMENTIER sonne le tocsin à Paris, pour se dire le seul, l'unique auteur du pain de pommes de terre, et cela, dit-il parce qu'il fait du pain avec la pomme de terre sans farine. Cet homme m'a écrit annuellement depuis dix ans pour me demander différents éclaircissements sur mes opérations. Je lui ay mandé que j'avais fait du pain de pommes de terre avec et sans mixtion de farine, que l'un a été trouvé très bon, et l'autre, purement de pommes de terre, insipide et pâteux, tel que celuy que M. PARMENTIER nous envoie icy, quoiqu'il l'ait relevé par le sel. Cet homme me met donc dans la nécessité de le juger de mauvaise foy et de le regarder comme un intrigant qui veut s'approprier mon travail et surprendre le gouvernement pour en tirer quelque avantage. On sçait combien j'ay travaillé à ce sujet et tout le zèle que j'y ai mis. Il le sçait mieux qu'un aultre, puisque je lui ay communiqué des détails particuliers dont il profite aujourd'huy. "-44
A cette attaque, PARMENTIER répondit par ces quelques lignes dans son ouvrage sur le pain de pommes de terre :
" Quant à M. le Chevalier MUSTEL, qui a rendu ses prétentions publiques, les Juges éclairés dans cette partie n'ont pas manqué de les apprécier à leur juste valeur ; cet auteur, dont les travaux méritent la reconnaissance des bons citoyens, n'a imprimé nulle part, qu'il eût fait du pain de pommes de terre sans mélange. "-45
En juin 1779, l'occasion est donnée à PARMENTIER de se rendre en Normandie. Il vient en effet d'être nommé apothicaire major des Hôpitaux de la division du Havre et de Bretagne, alors que la France concentre ses troupes sur la côte en vue d'un débarquement en Angleterre.
" Convaincu -écrivait-il- que l'unique moyen de faciliter l'intelligence d'un procédé, c'est de l'exécuter sous les yeux de ceux auxquels il est important d'en communiquer les détails, et de ne leur laisser aucuns doutes, il n'est pas de circonstance dont je n'aie profité. "-46
PARMENTIER profite donc de sa récente nomination pour convaincre les réticents normands. Il commence par organiser une séance au Havre au cours de laquelle il procède à la fabrication de son pain de pommes de terre.
Un témoin, l'abbé Jacques-François DICQUEMARE (1733-1789), écrivit ne jamais pouvoir oublier cette grande séance, " en présence de tout le Quartier Général si bien composé, ..., des Officiers de santé de l'armée, de plusieurs Académiciens, de chimistes, et d'un nombre considérable d'hommes de choix de tous états "-47 au cours de laquelle PARMENTIER dévoila " ex professo " les avantages de la panification des pommes de terre.
PARMENTIER ne veut pas se contenter du Havre, il désire se rendre à Rouen car il n'ignore pas qu'elle est la capitale d'" une des Provinces du Royaume où la pomme de terre a trouvé le plus de contradicteurs "-48, et il souhaite y rencontrer le Chevalier MUSTEL.
Le 9 décembre 1779, il envoie du Havre cette lettre à HAILLET DE COURONNE (1728-1810), Secrétaire Perpétuel de l'Académie de Rouen :
" Monsieur et très honoré confrère
J'ai l'honneur de vous prévenir qu'à mon passage à Rouen qui sera à peu près vers le 15 de ce mois, je me propose de faire publiquement le pain de pommes de terre dans le laboratoire de M. DESCROIZILLES qui m'en a prié instamment : cependant si l'Académie jugeoit plus convenable que l'expérience dont il s'agit soit répétée sous ses yeux dans un autre endroit, vous m'obligeries de l'assurer de tout mon empressement à remplir ses intentions en ses vues. "-49
Le 15 décembre 1779, PARMENTIER se rendit donc rue de " la Grosse Horloge " à Rouen, vis à vis l'église St Herbland, dans le laboratoire de l'apothicaire DESCROIZILLES-50.
Comme au Havre, il présenta à une large assistance son procédé de fabrication du pain de pommes de terre. MUSTEL était présent, il ne pouvait en être autrement. Malheureusement il nous manque le compte-rendu de cette séance et nous ne pouvons spéculer sur la réaction de MUSTEL.
Quoi qu'il en soit, cette démonstration publique semble avoir mis fin, en apparence du moins, à l'affaire du pain de pommes de terre.
Ce qui est certain, c'est que MUSTEL n'attaquait pas PARMENTIER sur le fond mais sur la forme. Il tenait à son titre de pionnier mais ne combattait pas le procédé.
PARMENTIER eut à faire face à d'autres attaques qui eurent le mérite d'ouvrir un vrai débat. Ainsi en est-il de cette " réfutation du pain de pommes de terre " parue dans " l'Esprit des Journaux " en juillet 1780. L'auteur, anonyme, s'interrogeait légitimement : " J'accorde pour un instant que l'on puisse faire du pain de pommes de terre. Quel bien en résultera-t-il ? La pomme de terre n'a besoin [que] d'être cuite dans l'eau ou sous la cendre pour servir de nourriture, et ne demande aucune préparation ; le pain, au contraire, est très long à fabriquer et très coûteux. "-51
En 1779, PARMENTIER rêvait de voir le pain de pommes de terre devenir la base de la nourriture journalière du "bon cultivateur". Il pensait que la panification ennoblissait la pomme de terre, et que seule cette transformation permettait de rendre sa culture plus générale, tant était grande la place du pain dans l'alimentation des Français.
Mais PARMENTIER ne s'obstina guère : Ainsi peut-on lire dans son " Traité sur la culture et les usages des pommes de terre " de 1789 :
" Les pommes de terre n'ont pas besoin de l'appareil de la boulangerie pour acquérir le caractère d'un aliment efficace ; elles sont dans leur état naturel, une sorte de pain tout fait : cuites dans l'eau ou sous les cendres, et assaisonnées avec quelques grains de sel, elles peuvent, sans autre apprêt, nourrir à peu de frais le pauvre pendant l'hiver. "-52
Finalement, que se cachait-il derrière cette obstination à vouloir panifier la pomme de terre ? Pourquoi était-il si important d'être le découvreur du pain de pommes de terre ? Il faut, bien entendu, y voir plus qu'une querelle stérile.
En ce siècle des Lumières, PARMENTIER et MUSTEL cherchaient l'un comme l'autre à faire le bien de l'humanité misérable et à obtenir une reconnaissance méritée de la part de leurs contemporains et de la postérité.
L'avenir a montré que les moyens mis en oeuvre par l'un et par l'autre ont considérablement influé sur cette reconnaissance. Pour le prouver, il n'est que de comparer la carrière de ces deux philanthropes.

9. Deux précurseurs, deux destins

Dès 1786, PARMENTIER obtint la reconnaissance royale avec son expérience de culture à grande échelle dans la plaine des Sablons (près de Neuilly) et la révolution ne vint pas stopper son ascension. En 1795, PARMENTIER devint membre de l'Institut.
En 1800, Bonaparte le fit nommer Premier Pharmacien des Armées et, en 1803, Inspecteur Général du Service de Santé des Armées.
Président du Conseil de Salubrité de Paris en 1807, Officier de la Légion d'Honneur en 1810, c'est couvert de titres que PARMENTIER s'éteignit à Paris à la fin de l'année 1813.
Rapidement naquit dans la mémoire collective la légende de l'"inventeur" de la pomme de terre, reprise par l'école de la IIIè République et perpétuée jusqu'à nos jours.
Il en fut tout autrement de la carrière du Chevalier MUSTEL. MUSTEL n'eut qu'une carrière locale en tant que membre de l'Académie de Rouen et de la Société d'Agriculture de Rouen dont il devint, pour un temps, le Directeur.
Déjà en 1788, MUSTEL écrivait : " le temps efface, détruit ou défigure tout ". Il tentait alors de faire reconnaître son oeuvre attaquée par DAMBOURNEY, Secrétaire Perpétuel de la Société Royale d'Agriculture de Rouen, oeuvre qu'il sentait menacée pour la postérité.-53
Ainsi écrivait-il : " mon travail, mes opérations sur la culture des pommes de terre sont devenues trop importantes, me sont trop honorables et satisfaisantes pour m'en voir enlever le mérite et n'y pas opposer ma juste réclamation " et plus loin : " Il est de fait et de notoriété publique que je suis le premier et le seul qui, par l'instruction, l'exemple et la semence que j'ai distribuée, a fait connoître, introduit et propagé cette utile culture. "-54
Et comme une consolation, MUSTEL rapportait ces témoignages de reconnaissance :
" Qu'il me soit permis de rendre une anecdote que l'on trouvera peut-être bien simple, mais dont la simplicité fut plus chère à mon coeur et plus flatteuse que tous les éloges des Papiers publics et des hommes les plus distingués de Paris. Environ trois ans après la publication de mon Mémoire, j'entrai dans la boutique d'une herbière de la rue S.Honoré, où je voyois des paniers de pommes de terre, dans le dessein de savoir à quel prix elle les vendoit.
Mais, lui dis-je, on n'en voyoit pas à Paris autrefois ? Non, me répondit-elle ; c'est depuis qu'un bon Monsieur de Rouen a fait un livre : à présent il en vient tout plein au marché. Eh qui vous a dit cela ? C'est M. le Curé de St Roch, qui en nourrit ses pauvres. Ah ! mon cher Monsieur, ajouta t-elle, que cela a fait de bien !
En voilà une autre plus récente. En passant par le village de Sotteville, je vis une troupe d'enfants à une porte, d'un embonpoint et d'un air frappant de ressemblance. Sur les questions que je leur fis, un homme se présenta. Tous ces enfants sont-ils à vous, lui dis-je ? Oui, si j'en crois ma femme. Vous avez là une nombreuse famille. Oh nous ne craignons plus d'avoir beaucoup d'enfants depuis que vous nous avez appris à les nourrir à bon marché : ils ne mangent presque, ainsi que nous, que des pommes de terre ; et vous voyez qu'ils n'en sont pas moins gros et gais. "-55
Mais en dehors de ces anecdotes chères au coeur de MUSTEL, qu'est-il resté de son oeuvre de précurseur ?
Contrairement à celle de PARMENTIER, elle tomba rapidement dans l'oubli. En dehors d'un prix national d'agriculture-56 pour le département de la Seine Inférieure, distribué en 1795, il semble que la reconnaissance lui fut refusée.
François-Georges MUSTEL s'éteignit à Rouen le 3 octobre 1803, et fut rapidement oublié par les Rouennais eux-mêmes.
Félix-Archimède POUCHET, par exemple, méconnut totalement le rôle de son compatriote dans son " Histoire naturelle et médicale de la famille des Solanées "-57 publiée seulement 26 ans après la mort de MUSTEL.
Comme pour essayer de pardonner cette ingratitude collective, la décision fut prise en 1886 -année du centenaire de la pomme de terre- de donner le nom de MUSTEL à une rue de Rouen.
Cette rue, située entre l'avenue du Mt Riboudet et la rue du Renard, est bien éloignée du quartier St Sever où eurent lieu les premières expériences de MUSTEL, et reste un bien faible témoignage de reconnaissance pour un homme que PARMENTIER lui-même qualifiait de " premier Apôtre des pommes de terre en France. "-58

Note :
-1 ROZE E. ; Histoire de la pomme de terre, traitée aux points de vue historique, biologique, pathologique, cultural et utilitaire ; Paris, J. Rothschild ; 1898.
FEYTAUD J. ; La pomme de terre ; P.U.F., collection Que sais-je ? ; Paris ; 1949.
TOUSSAINT-SAMAT M. ; Histoire naturelle et morale de la nourriture ; Bordas.
BLOND G. et G. ; Festins de tous les temps, histoire pittoresque de notre alimentation ; Librairie Arthème Fayard ; voir p. 253-333.
GIBAULT G. ; Histoire des légumes ; Paris ; Librairie horticole ; 1912. Voir p. 243-286.
-2 LEPECQ DE LA CLOTURE ; Collection d'observations sur les maladies et constitutiond épidémiques ;
A Rouen ; De l'Imprimerie Privilégiée ; 1778. Dans sa présentation des normands, ce médecin signale que les pommes de terre ne sont servies que sur la table des gens aisés et souligne : " On n'a pu accoutumer nos Paysans & nos Pauvres à en faire du pain, ni même à s'en nourrir sous toute autre forme. " (Introduction, p. 40).
-3 DUBUC A. ; La culture de la pomme de terre en Normandie avant et depuis Parmentier ; Annales de Normandie ; janvier 1953 ; p. 50-68. Voir P. 52-62 et note 8, p.53.
-4 Réclamation de M. le Chevalier Mustel sur la culture des pommes de terre en Normandie. Journal de Normandie ; n°7 du Mercredi 23 janvier 1788 ; p.27.
-5 MUSTEL ; Mémoire sur les pommes de terre et sur le pain oeconomique ; Rouen ; 1767 ; p.26. (B.M. Rouen, I 2193)
-6 Réclamation de M. le Chevalier Mustel sur la culture des pommes de terre en Normandie. Journal de Normandie ; n°7 du Mercredi 23 janvier 1788 ; p.27.
-7 Voir en particulier :
BERTRAND M. ; Antoine-Augustin Parmentier : un pharmacien illustre. 1737-1813 ; Thèse Doctorat Pharmacie ; Université Paul Sabatier ; Toulouse ; 1987.
MURATORI-PHILIP A. ; Parmentier ; Paris ; Plon ; 1994.
GIBAULT G. ; Histoire des légumes ; Paris ; Librairie horticole ; 1912. Voir p. 249-259.
-8 Délibérations et Mémoires de la Société Royale d'Agriculture de la Généralité de Rouen. Tome premier ; Rouen ; 1763. (BM Rouen ; I 2196)
-9 Annonces, affiches et avis divers de la Haute et Basse Normandie du vendredi 30 janvier 1767, p.18
-10 Délibérations et Mémoires de la Société Royale d'Agriculture de la Généralité de Rouen. Tome troisième. Partie historique ; Rouen ; Imprimerie Louis Oursel ; 1787 ; p.94-95.
" Ces pains avoient très-bon goût ; ils étoient doux au palais & au gosier ; il falloit même être prévenu de l'existence de la Pomme de terre dans ceux où il n'en étoit entré qu'un tiers, pour s'en apercevoir. " (p.95).
Cité également in : Réponse de la Société d'Agriculture aux réclamations de M. le Chevalier Mustel, relativement à la culture des Pommes de terre, insérée au n°7 ; Journal de Normandie du Mercredi 27 Février 1788 ; n° 17 bis ; p.72.
-11 Annonces, affiches et avis divers de la Haute et Basse Normandie du vendredi 10 avril 1767 ; n°15 ; p.57.
-12 Annonces, affiches et avis divers de la Haute et Basse Normandie du vendredi 17 avril 1767.
-13 Réponse de la Société d'Agriculture aux réclamations de M. le Chevalier Mustel, relativement à la culture des Pommes de terre, insérée au n°7 ; Journal de Normandie du Mercredi 27 Février 1788 ; n° 17 bis ; p.72.
-14 MUSTEL ; Mémoire sur les pommes de terre et sur le pain oeconomique ; Rouen ; 1767 ; p.26. (B.M. Rouen, I 2193)
-15 op. cit. ; p.49.
-16 Réclamation de M. le Chevalier Mustel sur la culture des pommes de terre en Normandie. Journal de Normandie ; n°7 du Mercredi 23 janvier 1788 ; p 27.
-17 Id., p.28.
-18 Id. ; p.28.
-19 Réclamation de M. le Chevalier Mustel sur la culture des pommes de terre en Normandie. Journal de Normandie ; n°7 du Mercredi 23 janvier 1788 ; p 28.
-20 Environ 200 kilomètres.
-21 Réclamation de M. le Chevalier Mustel sur la culture des pommes de terre en Normandie. Journal de Normandie ; n°7 du Mercredi 23 janvier 1788 ; p 28.
-22 Archives départementales de la Seine-Maritime ; C 118. Cette lettre ne se trouvait pas dans le carton correspondant et n'a donc pu être consultée. Citée aussi par G. GIBAULT Histoire des légumes ; Paris ; Librairie horticole ; 1912. Voir p. 270.
-23 Joseph Marie TERRAY(1715-1778) fut nommé contrôleur général des Finances en 1769.
-24 Archives départementales de la Seine-Maritime ; C 118. Feuillet 93.
-25 Annonces, Affiches et Avis divers de la Haute et Basse Normandie. 5e feuille hebdomadaire du vendredi 1er février 1771 ; p. 19-20.
-26 Annonces, Affiches et Avis divers de la Haute et Basse Normandie. 6e feuille hebdomadaire du vendredi 8 février 1771 ; p 23.
-27 Dans sa lettre du 26 février 1771, adressée à l'Intendant de Rouen, l'abbé Terray note : " J'ai consulté la faculté sur la lettre insérée dans l'annonce de Province, elle me paroit bien contraire aux principes que nous connoissons et aux analises que des gens sages et éclairés nous ont procuré au surplus. ". ADSM ; C 118.
-28 Rapport fait à la Faculté de Médecine de Paris, sur l'usage des Pommes de terre. A Paris, De l'imprimerie Royale ; 1771. (BM Rouen, Montbret G 2904 8). P. 3.
-29 Id., p. 11.
-30 ADSM ; C 118 ; feuillet 94.
-31 Annonces, Affiches et Avis divers de la Haute et Basse Normandie. 26e feuille hebdomadaire du vendredi 15 juillet 1771 ; p. 104.
-32 PARMENTIER ; Ouvrage économique sur les pommes de terre, le froment et le riz. A Paris, chez Monory ; 1774. Voir p. XXIII-XXIV.
-33 PARMENTIER ; Examen chymique des Pommes de terre ; in : Ouvrage économique sur les pommes de terre, le froment et le riz. A Paris, chez Monory ; 1774 ; p.3-4.
-34 PARMENTIER ; Le Parfait Boulanger ou Traité complet sur la Fabrication et le Commerce du Pain ; Paris ; De l'Imprimerie Royale ; 1778 ; p.579.
-35 Cité par E. ROZE ; Histoire de la pomme de terre, traitée aux points de vue historique, biologique, pathologique, cultural et utilitaire ; Paris, J. Rothschild ; 1898 ; p.135.
-36 MUSTEL ; Mémoire sur les pommes de terre et sur le pain oeconomique ; Rouen ; 1767 ; p32-33.
-37 PARMENTIER ; Manière de faire le pain de pommes de terre, sans mélange de Farine ; Paris ; De l'Imprimerie Royale ; 1779 ; p.6.
-38 PARMENTIER ; Avis aux bonnes ménagères des villes et des campagnes, sur la meilleure manière de faire leur pain ; Paris ; De l'Imprimerie Royale ; 1777 ; p.84-89.
-39 Sur Cadet de Vaux, voir : A. VAQUIER ; Un philanthrope méconnu CADET DE VAUX ; Franconville ; 1972. Sur le pain de pomme de terre voir : p. 440-443.
-40 Journal de Paris du 21 décembre1778. Cité par MURATORI-PHILIP A. ; Parmentier ; Paris ; Plon ; 1994 ; p.120.
-41 PARMENTIER ; Manière de faire le pain de pommes de terre, sans mélange de Farine ; Paris ; Del'Imprimerie Royale ; 1779 ; p.7.
-42 PARMENTIER ; op. cit. ; p. 7.
-43 En effet, André DUBUC, dans son article de 1953, signale : " La lettre ne figure plus au dossier quej'ai consulté " (p.61).
-44 GIBAULT G. ; Histoire des légumes ; Paris ; Librairie horticole ; 1912. Voir p. 260.
-45 PARMENTIER ; Manière de faire le pain de pommes de terre, sans mélange de Farine ; Paris ; Del'Imprimerie Royale ; 1779 ; p.13.
-46 PARMENTIER ; Recherches sur les végétaux nourrissans, qui, dans les temps de disette, peuvent remplacer les alimens ordinaires. Avec de nouvelles observations sur la culture des Pommes de terre ; A Paris, De l'Imprimerie Royale ; 1781 ; p.139.
-47 Citée in : PARMENTIER ; Recherches sur les végétaux nourrissans, qui, dans les temps de disette, peuvent remplacer les alimens ordinaires. Avec de nouvelles observations sur la culture des Pommes de terre ; A Paris, De l'Imprimerie Royale ; 1781 ; p 457.
-48 Id. ; p.140.
-49 B.M. Rouen ; Archives de l'Académie de Rouen ; C 27.
-50 François-Antoine-Henri DESCROIZILLES (1751-1825) ; Pr de chimie à Rouen puis à Paris, membre de l'Académie de Rouen.
-51 Réfutation du pain de pommes de terre sans mélange de farine ; Esprit des Journaux François et étrangers ; Juillet 1780 ; Tome VII ; 9e année ; Paris ; p.339-355. Il s'attaque directement à Parmentier dans les lignes suivantes : " D'après cela, il est évident que M. P… n'a jamais fait de pain de pommes de terre sans mélange, et qu'il y a introduit pour le moins un quart de froment dans l'état de levain, ce qui est bien éloigné d'être la solution du problème qu'il prétend avoir développé. " (p. 353).
-52 PARMENTIER ; Traité sur la culture et les usages des pommes de terre, de la patate et du topinambour ; Paris ; chez Barrois ; 1789 ; p. 19.
-53 En 1787, fut imprimé le tome troisième des " Délibérations et Mémoires de la Société Royale d'Agriculture de la Généralité de Rouen ". Dans la partie historique, au chapitre consacré aux pommes et poires de terre, il est question des premiers travaux de Mustel en 1767. Mustel est furieux. Les faits sont, selon lui, altérés par " des citations controuvées et par des omissions ". Il se décide alors à faire imprimer une réclamation dans le Journal de Normandie du 23 Janvier 1788.
Le 27 Février 1788, La Société d'Agriculture, par l'intermédiaire de son secrétaire perpétuel Dambourney, choisit le même journal pour répondre aux accusations portées par le chevalier Mustel, extraits des régistres de la Société à l'appui.
L'affaire ne s'arréta pas là, Mustel fit encore une réponse à la lettre de Dambourney dans le Journal de Normandie du 19 mars 1788. (Voir p.93-95 et 98-99).
-54 Réponse de M. Mustel à la lettre de M. Dambourney, publiée dans le Journal de Normandie, n°17. In : Journal de Normandie du 19 mars 1788. P. 94-95.
-55 id
-56 Voir Journal de Rouen du 23 thermidor an 3. Arrêté du 1er messidor an 3 du Directoire départemental.
-57 POUCHET F. A. ; Histoire naturelle et médicale de la famille des Solanées ; Rouen ; F. Baudry ; 1829.
-58 PARMENTIER ; Le Parfait Boulanger ou traité complet sur la Fabrication et le Commerce du Pain ; à Paris ; De l'Imprimerie Royale ; 1778 ; p. 579

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